À propos

La Symbioses sauvage est une œuvre créée en collaboration avec un Physarum polycephalum, organisme vivant unicellulaire, plus connu sous le nom de BLOB.

La Symbiose sauvage est protéiforme et joue avec le temps. Elle naît d’un processus qui nécessite entre 5 et 7 jours pour se réaliser pleinement. Elle est éphémère et persistante à la fois. Sa création se décompose en trois temps. D’abord la mise en place du tableau initial, et l’implantation du Blob en son sein. Je nomme ce temps LES TERRITOIRES. Le Blob pénètre littéralement dans le tableau et investit l’œuvre, la transforme. Un nombre considérable d’images est engendré : c’est le temps de l’exploration. Un temps long que je nomme LES TRACES. Des jours pendant lesquels je photographie le tableau en évolution. Une photo toutes les vingt secondes, pour un total de quatre à dix mille clichés en fonction de l’œuvre. Pendant ce temps, les territoires s’évaporent, se déshydratent, et forment une fine pellicule sèche sur laquelle le Blob ne peut plus se rendre. Il est alors contraint dans ses déplacements, et cet espace devient invivable pour lui. Arrive le temps de l’endormissement, ce moment où le nouveau tableau apparait. Je m’appuie sur les propriétés physiologiques extraordinaires du Blob, qui se déshydrate et s’endort si les conditions dans le milieu où il évolue ne sont plus propices à la vie.

La Symbiose sauvage est donc potentiellement vivante. Endormie, mais vivante. Seulement, pour réveiller le Physarum polycephalum, il faudrait inévitablement détruire le tableau. Détruire aussi, alors un peu de moi. Je l’ai fait. Pour voir. Pour être sûr et vérifier mon histoire. Vérifier qu’il était toujours vivant. Je l’ai sorti de son sommeil. Je l’ai réveillé, et celui-là était toujours bien vivant. Quant à l’œuvre d’art en soi, elle navigue quelque part entre ces différents temps. Je nomme Les Territoires sublimes ces espaces et ces temps où l’œuvre vit, s’étire et s’épanouit, autonome, là où elle se réalise pleinement, au-delà de moi, au-delà des regardeurs ; là où jamais l’humain n’ira. Bien entendu, nous sommes au contact des œuvres : par le regard, par la voix, par l’interprétation grâce aux instruments de musique que nous inventent les artisans, par tous les sens qui permettent de prolonger les vibrations, les ondes, les énergies diverses et variées. À chaque interaction avec de l’Art, nous ravivons les résonances qui nous unissent à l’œuvre. Mais jamais, non jamais, nous ne pénètrerons dans les Territoires sublimes.

Démarche, vocabulaire et technique

Les territoires sont les créations graphiques que je réalise à base d’eau, d’agar-agar, et dont les couleurs sont obtenues avec des colorants alimentaires. La teinte du Blob change légèrement au cours de la Symbiose sauvage car les colorants pénètrent dans la cellule. Les territoires sont coulés dans des cercles ou des ovales à même le verre.

La forme dans laquelle évolue le Blob, est le fruit de l’agencement des territoires sur la plaque de verre trempé. Lors de ses déplacements, il engendre une infinité d’images et génère des motifs récurrents, mais hasardeux. Grâce à certaines stratégies, j’influence mon partenaire afin d’obtenir de lui certains motifs.

CONTINUITÉ, DISCONTINUITÉ. J’ai cherché à développer une technique pour provoquer des lignes de failles ou des lignes de fusion entre les territoires pendant la phase d’évaporation : les hiérarchies entre les territoires apparaissent plus clairement, et la nature des formes se révèle, lumineuse ou ténébreuse.

La ligne de faille est le signe d’une discontinuité : les territoires s’éloignent les uns des autres pendant l’évaporation et obligent le Blob à s’étirer pour maintenir le flux liquide au cœur de la cellule. La forme est saccadée. La Symbiose sauvage est lumineuse.

La ligne de fusion, au contraire, marque la continuité : les territoires restent soudés après l’évaporation, la couleur du territoire dominant imprègne celle du territoire dominé. La Symbiose sauvage est ténébreuse. L’évaporation, et par conséquent le dessèchement des territoires, provoque un appauvrissement du milieu de vie qui contraint le Blob à former un sclérote, l’amenant à s’endormir, vivant, dans le tableau asséché. C’est la Symbiose sauvage. »

« Et lorsque les rêves ne suffisent plus pour apaiser les esprits encombrés, on les invite à sortir de l’ombre, à naître et à former le bataillon des Arts. Les voilà élancés hors des corps pour éclairer les vies. Nous avons créé, pour accueillir ces œuvres, des territoires sublimes. Chaque fois qu’un enfant se met à danser, chaque fois qu’une femme se met à chanter, qu’un homme se met à dessiner, on envoie naviguer vers ces contrées abstraites les vaisseaux qu’on aura remplis d’une cargaison d’objets impalpables. Il y a là-bas, qui séjourne et s’éternise, cette part indicible des œuvres d’art, cette part unique et imprévue de l’esprit purgé d’un auteur. C’est elle qui nous regarde et nous écoute maintenant. C’est elle qui nous piste et dresse, sans qu’on s’en doute, la topographie sauvage de notre âme. Je vois les navires au lointain. Regardez. Regardez ces navires au lointain : on les croirait chargés de l’aura des corps transcendés. »
Cédric Lebonnois, « Les Symbioses sauvages »